Chercheurs, sportifs, aventuriers, géographes, scientifiques.... L'équipe du Pôle métier Climat & Air a croisé la route de personnalités de tous horizons et tous passionnés. Découvrez les portraits...
Interview de Gaël Derive
En ce début d'année 2015, l'équipe du Pôle métier Climat & Air est allée à
la rencontre de Gaël Derive, expert et témoin du
dérèglement climatique. Après des études scientifiques (doctorat ès sciences), des contrats au sein d’organismes de recherche, comme le
Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) ou l’Institut de recherche pour le développement (IRD), mais aussi une mission à
l'Agence locale de l'énergie et du climat de l'agglomération grenobloise, Gaël a décidé d’agir autrement. En allant à la rencontre du grand public lors de conférences sur le climat et le
changement climatique, en réalisant des films ou en écrivant des livres, la personne non avertie pourrait penser que Gaël a pris du recul par rapport à son parcours initial. Mais il n’en est
rien, car, au contraire, il se sert de son expérience et de son approche scientifique pour sensibiliser les citoyens avec des mots à la fois justes et accessibles à tous. Après un
premier film L’Odyssée du climat (2009), un livre associé (éditions Terre vivante) et une tournée nationale, Gaël propose un second film très
abouti, Une Planète & une civilisation, avec une nouvelle tournée nationale, en partenariat avec OXFAM et OMM-ONU, mais aussi un livre-témoignage, Nous aurions dû rester des
singes…(éditions Indigène), qui lui tient à cœur.
Après des études scientifiques et des missions au sein de grands organismes de recherche, pourquoi avez-vous privilégié l’éducation à l’environnement ?
Quoi de plus beau que de transmettre une idée, un message, des pensées… Avec le dérèglement climatique, il y a aujourd'hui un gouffre entre l'ampleur du phénomène physique et le niveau de connaissances des citoyens. Il faut donc que l'on soit meilleur dans la médiation de ce changement d'ampleur globale et que l'on soit aussi beaucoup plus nombreux à expliquer cette trajectoire climatique et humaine. Je contribue modestement à ce vaste chantier, car il faut maintenant gagner la société civile !
Dans votre dernier film Une Planète & une civilisation, vous partez à la rencontre de six habitant(e)s du monde ayant des modes de vie et des préoccupations à première vue opposés. Pourquoi ce choix ?
Les modes de vie de ces six personnes sont effectivement très contrastés, mais le dénominateur commun est le climat, car tous dépendent des conditions climatiques locales, sous les diverses latitudes, de l'Arctique à l'Amazonie, du Pacifique à l'Himalaya. Se rendre compte que le climat dirige nos vies est le moteur du film. Chaque rencontre est singulière et très personnelle, mais le discours relayé est in fine universel : comment vivons-nous sur Terre ? Comment dépendons-nous du climat ? Quel avenir climatique et humain nous attend ? Avec ce bouleversement planétaire, nous serons tous gagnants ou tous perdants.
Pourquoi la perception du changement climatique varie-t-elle tellement selon les sociétés et les cultures ?
Chaque société a sa propre vision qui dépend des croyances, des besoins directs pour l'agriculture ou du niveau d'éducation de la population. En France, on a une vision plutôt scientifique ou économique de l'enjeu. Mais les six hommes et femmes que j'ai rencontrés ont une approche de terrain à la fois très réaliste et pragmatique : ils observent directement l'évolution des variables climatiques, que ce soit les précipitations ou le rythme des sécheresses dont ils dépendent tous très largement. La stabilité du climat est même vitale pour certains d'entre eux. Tout est une question d'équilibre !
Que vous inspirent les regards que vous avez croisés ?
Il me reste aujourd'hui un sentiment étrange, mêlant de merveilleux souvenirs, des moments de rires, de fabuleux échanges et des moments de partage, mais aussi cette vision de très grande précarité qu'affrontent certains hommes et femmes. C'est un souvenir tragi-comique, car le dérèglement climatique avance très rapidement sur tous les territoires visités. On se dit, sur place, que personne n'est immunisé face aux conséquences du dérèglement climatique et que l'histoire ne fait que commencer. Je me dis aussi que nous ne sommes pas à la hauteur de l'enjeu et moi le premier !
A travers vos conférences, le public se montre-t-il réceptif ? Que dites-vous aux derniers climato-sceptiques ?
Le film touche le cœur des hommes et replace l'humanité au centre de notre préoccupation. Les conférences sont des moments forts, de partage, de rencontres, d'échanges ! Mais ce film n'est pas destiné aux climato-sceptiques. Nous n'avons plus de temps à perdre pour convaincre, un à un, les derniers récalcitrants. Il faut avancer avec les personnes motrices et désireuses de comprendre davantage le processus climatique actuel. Ce film a pour ambition de ramener le débat climatique sur l'essentiel : les besoins fondamentaux des hommes, comme l'alimentation ou l'eau potable.
Selon vous, la lutte contre le changement climatique est-elle une partie perdue d’avance ?
Ce n'est pas binaire : on ne peut ni revenir en arrière, ni laisser diverger la tendance climatique actuelle. L'humanité se trouve dans cette période charnière du choix : veut-on conserver une planète vivable ? Dans quelles conditions veut-on vivre tous ensemble ? Pour la première fois, nous sommes en face du destin de l'humanité toute entière et nous avons toutes les cartes en main. Le destin n'est pas écrit, tout reste possible : le meilleur, comme le pire.
Après l’Odyssée du climat : limiter le réchauffement à 2°C (Terre Vivante), vous publiez un nouvel ouvrage : Nous aurions dû rester des singes…(éditions Indigène, 2015). Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Ce livre est un coup de poing, comme Stéphane Hessel l'avait fait en son temps avec Indignez-vous ! (même maison d'édition). J'avais envie de me livrer davantage. Peut-être en raison de mon âge, à 40 ans, je commence à m'affirmer. Le fait d'avoir parcouru la planète me permet également d'avoir du recul sur le climat, mais aussi sur la nature humaine qui m’a marquée à chaque voyage, voire bouleversée. Je me devais de partager ces émotions. Au final, c'est un livre court (45 pages), volontairement peu cher (5 euros seulement) et très fort qui sort des livres habituels sur ce thème. C'est une nouvelle vision du climat, c'est une ouverture sur le monde, c'est un appel humain !
Pour en savoir plus sur son dernier film, la tournée nationale et son livre « coup de poing », rendez-vous sur : www.gaelderive.fr
Janvier 2015
Interview de Pierre Vaultier
Pierre Vaultier*, médaillé d’or au Jeux olympiques de Sotchi en février 2014, savoure encore sa victoire en finale de snowboard cross. Le choix de la rééducation expresse, suite à la déchirure du ligament croisé antérieur de son genou droit à la coupe du monde de Lake Louise en décembre 2013, s’est donc avéré payant, même s’il a fallu glisser sur les pentes russes avec une attelle. Avec ce premier titre olympique, acquis après de nombreuses blessures ces dernières années, Pierre a le sentiment d’avoir atteint son « Graal ». Aujourd’hui, à 27 ans, il se ressource chez lui, dans le Briançonnais, reprend des forces pour affronter les prochaines échéances sportives et profite surtout de sa fille de 15 mois qu’il voit grandir jour après jour avec bonheur. Cela ne l’empêche pas de s’entraîner assidûment,mais sans pression. Ce sportif de haut niveau, qui pratique le snowboard depuis 21 ans, a fait son entrée internationale en 2005 après un titre de champion de France. Avant sa médaille au JO, il a obtenu une première victoire en coupe du monde en 2007 et a décroché son premier globe de cristal en 2008 avant de récidiver en 2010 et 2012. Conscient de la réalité du dérèglement climatique, il a accepté de répondre à nos questions.
Vous glissez sur toutes les neiges du globe : le changement climatique est-il une réalité pour vous ou encore un phénomène abstrait ?
En termes de glisse, je dirais que le changement climatique a encore une dimension abstraite. Des phénomènes de dérèglement sont observés autour du globe, mais ils sont si ponctuels dans l'espace et dans le temps qu'il est encore difficile de pointer du doigt le réchauffement climatique.
Les snowboarders de haut niveau parlent-ils entre eux du changement climatique ?
Très peu. Pour notre pratique au niveau international, les organisateurs trouvent toujours des solutions pour proposer de beaux parcours de snowboard cross, sauf en cas de force majeure. Quand les bouleversements climatiques auront un impact plus sensible sur notre pratique, les échanges se multiplieront certainement.
Quel rôle les skieurs de la Fédération française de ski (FFS) peuvent-ils jouer pour sensibiliser le grand public aux effets du dérèglement climatique ?
À mon avis, aucun. Le dérèglement climatique s’articule à l’échelle globale et, pour les skieurs de la FFS, il est difficile de comprendre la complexité du système. Cela dit, à l’échelle locale, les sportifs peuvent éventuellement mener des campagnes de sensibilisation auprès de la population en faveur de la protection de l’environnement. Personnellement, je m’intéresse aux sciences de la Terre, à la gestion des territoires et espaces montagnards. Je prépare une licence de géographie, option environnement, à l’université Joseph Fourier à Grenoble. Mes connaissances et expériences serviront peut-être plus tard.
Comment les Briançonnais de toute génération appréhendent-ils le dérèglement climatique ?
Là aussi, cette notion reste assez abstraite. Cependant, les anciens parlent souvent des conditions d'enneigement plus favorables des années 50 aux années 80. Il semblerait que les temps aient bien changé et cela porte à réflexion. Mais, au final, nous sommes surtout dans la gestion de l'instant présent. Quand la neige est suffisante pour boucler une saison, on se sent tiré d'affaire, au moins jusqu'à la prochaine. Pour l’exploitation des domaines skiables, il est certain que les chiffres étudiés portent plus sur la rentabilité que sur l'enneigement ou la courbe des températures.
La neige de culture est-elle une solution pour pallier au manque de neige jusqu’en haute altitude ?
Si la clientèle accepte ce style de pratique, la neige de culture sera une alternative, mais il est possible que la rationalité d'un tel système s'épuise et fasse un jour des stations de ski des vestiges alpins.
Les Haut-Alpins sont-ils sensibilisés à la problématique de la qualité de l’air, en particulier dans les vallées ?
Pas vraiment. Le tunnel de Montgenèvre ayant une faisabilité quasi-nulle, les Hautes-Alpes restent (par chance ou pas) un territoire enclavé et peu accessible, donc préservé. Même en juillet et août, période pendant laquelle la mobilité est la plus intense, l'air reste tout à fait respirable, donc cette problématique est méconnue.
Comment imaginez-vous le Briançonnais en 2040 ?
Je vais certainement casser les spéculations, mais je ne l’imagine pas si différent de maintenant. Je pense que la crise socio-économique aura fait beaucoup plus de dégâts que la crise climatique en 25 ans. Plus précisément, le climat à l’horizon 2040 n’aura pas radicalement changé. Les prévisions sont de l’ordre de +1 à +1,5ºC en moyenne pour le pire des scénarios à l’échelle planétaire. La hausse des températures sera très inégale selon les régions et la circulation atmosphérique risque d’évoluer. L’évaporation intense sur les surfaces maritimes accroîtra probablement l’humidité dans l’atmosphère et donc la nébulosité, avec, comme conséquence en hiver, des précipitations neigeuses plus importantes qu’aujourd’hui dans les Alpes, du moins en haute altitude. Ce scénario hypothétique ne condamnerait pas la glisse. Je ne suis pas un climato-sceptique, car le réchauffement climatique est une réalité avec à l’appui des chiffres irréfutables, mais il faut rester prudent sur l’interprétation des sorties de modèles climatiques et des incertitudes associées.
Août 2014
*de nouveau en or en février 2018 aux JO de Pyeongchang. Félicitations !
Interview de Daniel Joly
Pour Daniel Joly, directeur de recherche (CNRS) au laboratoire ThéMA de l’université de Franche-Comté, directeur du GDR « mutations polaires » et secrétaire de l'Association internationale de climatologie (AIC), le climat n'est pas un objet de recherche comme les autres. Depuis le début de sa carrière, fort de ses compétences en analyse spatiale et modélisation, il s'évertue à identifier les facteurs physiques et environnementaux locaux qui régissent et expliquent la répartition spatiale des variables du climat en milieu polaire ou tempéré. Les résultats de ses travaux lui ont ainsi permis de développer un logiciel d’interpolation de données quantitatives et spatiales (LISDQS) utilisé aujourd’hui en France et à l'étranger dans les domaines du climat, de l’agrométéorologie, de la pollution de l’air… Mais le champ de recherche de Daniel Joly ne se limite pas au climat puisqu'il a aussi dédié son activité scientifique au paysage : analyse quantitative, valeur économique, calcul des intervisibilités... En bon géographe, ce chercheur aguerri a franchi les frontières de la Franche-Comté pour mettre en application ses travaux. Il a effectué 21 expéditions scientifiques au Spitsberg, l'île principale du Svalbard, cet archipel norvégien situé dans le Haut-Arctique européen, et il a mené, en France, des études à l’échelle nationale, régionale et locale en Bourgogne, Rhône-Alpes…, mais aussi en Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de la recherche scientifique en climatologie au sein des laboratoires nationaux et internationaux ?
Depuis une quinzaine d’années, la recherche scientifique s’est clairement orientée vers le changement climatique. De nombreux projets et articles se positionnent par rapport à cette thématique. La majorité d’entre eux fondent leur problématique sur le changement climatique soit d’un point de vue théorique, soit pour en analyser ou décrire les conséquences. Par exemple, lors du dernier colloque de l’Association internationale de climatologie (AIC) qui s’est déroulé à Dijon, en juillet 2014, près de la moitié des communications fait référence, de manière approfondie ou non, au changement climatique.
Si les projections climatiques se confirment, quelles mutations subiront les paysages de Franche-Comté ?
Cette question est difficile, car les projections climatiques sont inscrites dans un entonnoir d’incertitudes : les modèles sont proches les uns des autres pour les 20 prochaines années mais, par la suite, même si tous voient le réchauffement s’accélérer, des divergences apparaissent et tendent à s’accentuer avec le temps. Ainsi, à horizon 2100, la température augmentera de 2°C (scénario optimiste) à 5°C (scénario pessimiste, peut-être le plus réaliste) par rapport à aujourd’hui. Les raisons de ces incertitudes s’expliquent à la fois par la modélisation imparfaite des processus atmosphériques, par l’évolution de la population et de l’économie mondiale qui ne sont guère prévisibles. Par ailleurs, la France et la Franche-Comté en particulier se situent dans une zone où la modélisation des précipitations est sujette à caution. Mais ces réserves mises à part, le volume des précipitations en Franche-Comté devrait rester relativement stable, tandis que les températures augmenteront d’environ 4°C. A la fin du siècle, les températures d’été à Besançon ressembleront à celles d’Avignon aujourd’hui. Le climat ne sera pas méditerranéen pour autant en raison des pluies qui resteront soutenues en toute saison. On s’oriente donc vers un climat qui n’a guère d’équivalent actuellement en Europe et qui aura un impact sur les formations végétales qui devront rapidement s’adapter. Les forêts d’épicéas qui font la richesse du Jura disparaîtront probablement au profit des sapins et les feuillus migreront plus haut en altitude.
Pourquoi avez-vous travaillé au Spitsberg en Norvège ? Quel est l’impact du changement climatique dans cette région ?
Mes premiers travaux au Spitsberg remontent à 1974 (40 ans déjà !) quand, jeune géographe, j’ai saisi l’opportunité d’y passer trois mois pour
recueillir les données climatiques que j’allais traiter dans mon mémoire de 4ème année. Et conformément à l’aphorisme « Spitsbergen once, Spitsbergen always » qu’il n’est sans doute pas
nécessaire de traduire, j’ai été ébloui par la beauté de cette terre aux confins du Haut-Arctique où la haute montagne flirte avec l’océan. Rappelons-nous l’ouvrage de Charles-Pierre Péguy :
« Ces montagnes qui flottent sur la mer ». J’ai poursuivi ensuite dans le cadre d’un troisième cycle (doctorat) et de ma thèse d’Etat. Aujourd’hui encore, je mène des études avec mes
collègues botanistes de l’Université de Tromsø.
Sur terre, le changement climatique est surtout, comme dans les Alpes, visible au niveau des glaciers qui connaissent un net recul. Les plantes, dont la croissance est extrêmement lente (des
traces de tracteur vieilles de plus de 50 ans ne sont toujours pas recolonisées !), se redistribuent de manière très ténue et indirecte, plus en fonction du sol qui s’assèche suite à la
fonte du pergélisol que par la hausse des températures. Sur mer, la banquise continue à poursuivre son lent, mais inexorable recul. Les climatologues pensent qu'elle disparaîtra pendant la saison
estivale dans 30 ou 40 ans.
Que devient le groupement de recherche (GDR) « Mutations polaires : sociétés et environnement » ? Dans quelle mesure, anthropologie et climat étaient-ils liés dans les études menées par les équipes pluridisciplinaires du GDR ?
Le GDR que j'ai dirigé a terminé sa mission, mais des collègues montent actuellement un dossier pour le réactiver dans deux ans.
Les Inuits, à l’instar des populations non industrielles, sont très sensibles au climat dont leur survie dépend. Ils ont vraisemblablement été les premiers à percevoir les frémissements du
changement climatique à l’aube du XXème siècle, bien avant que les scientifiques ne s’emparent de cette thématique de recherche. Au moment où le changement climatique et ses conséquences ont
entraîné un nouvel intérêt pour les régions polaires dans le monde scientifique, mais aussi les milieux économiques, politiques et géopolitiques, les membres du GDR « mutations
polaires » ont jugé qu’il était important de contribuer à une meilleure connaissance de l’Arctique par l’explicitation des conceptions autochtones et de ses transformations actuelles.
Les travaux sur le terrain montrent qu’à l’échelle locale comme régionale le changement climatique est considéré comme l’un des aspects d’une recomposition globale du monde, une pression
supplémentaire exercée sur des milieux fragilisés tant d'un point de vue physique qu’humain. Aussi, le programme Avativut (« ce qui nous environne ») du
GDR proposait d’appréhender de façon très large les modalités de reconfiguration et de reconstruction constamment à l’œuvre dans les sociétés autochtones arctiques et subarctiques. Loin d’être
immuables, celles-ci se sont montrées, aussi loin que l’on puisse remonter dans le temps, très sensibles à toutes les formes d’interactions qu’elles soient internes (environnement direct) ou
externes. Ces dernières sont liées aux rencontres anciennes et répétées avec les cultures européennes qui ont impulsé de nouvelles dynamiques. L’analyse des types de représentation a permis
d’apprécier la flexibilité des systèmes de connaissances de ces sociétés et la pertinence de leurs mécanismes d’ajustement.
Pour mieux comprendre les interactions entre société et environnement, quel rôle peuvent jouer les géographes ?
Le géographe assure l’articulation entre les sciences physiques et humaines. Face au changement climatique, son diagnostic peut contribuer à une meilleure compréhension des enjeux et interactions qui affectent les sociétés. D'une manière générale, anticiper un changement dont on ne perçoit pas bien les effets relève de la gageure car, contrairement aux catastrophes dont les conséquences sont immédiates (tremblements de terre, tsunamis, éruptions volcaniques…), ceux attendus du changement climatique, même s’ils sont d’ores et déjà décrits, restent discrets et le seront encore pendant quelques décennies. Plus tard, au cours de la seconde moitié du XXIème siècle, il en sera autrement, mais les populations se sentent aujourd’hui peu concernées par une telle échéance. En anticipant les risques et les crises si aucune mesure visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) n’est prise, le géographe peut apporter des éléments susceptibles de faire avancer le débat et encourager les individus à changer de comportement.
Octobre 2014
Interview d'Antoine Lafitte
Depuis 2010, Antoine Lafitte est chargé de mission en gestion intégrée des zones côtières (GIZC). Formé à l’université de Nantes, il a travaillé au centre Ifremer de La Seyne-sur-Mer avant de rejoindre le Plan Bleu qui « vise à éclairer les enjeux de l’environnement et du développement en Méditerranée ». Depuis janvier 2012, il évalue tout particulièrement les impacts physiques et socio-économiques du changement climatique sur les zones côtières. Dans le cadre du programme MedPartnership (2009-2015), il coordonne les actions du projet « Intégration de la variabilité et du changement climatiques dans les stratégies nationales pour la mise en œuvre du protocole GIZC en Méditerranée » pilotées par le Plan Bleu. Il nous présente aujourd’hui le projet Mediterranean Integrated Climate Information Platform (MedICIP).
Quels sont les objectifs de MedICIP ?
La Plate-forme méditerranéenne intégrée d’information sur le climat (MedICIP) constitue un effort collectif pour promouvoir l’utilisation de la gestion intégrée des zones côtières (GIZC) dans les pays riverains de la Méditerranée. Elle est un outil efficace pour faire face aux impacts de la variabilité et du changement climatiques au niveau des zones côtières.
Le rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), publié en 2014, a identifié la région méditerranéenne comme un point chaud du changement climatique « qui connaîtra de multiples contraintes et défaillances systémiques dues aux changements climatiques » dans les prochaines années.
Ce projet vise à aider les pays participants à accéder à des évaluations, des outils, des données et des méthodes nécessaires pour développer les mesures les plus rentables de la GIZC en vue de protéger les communautés et les ressources côtières contre les menaces liées au changement climatique.
Qui finance ce projet ?
Le budget total du projet est de 9,2 millions de dollars US, financé par le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) et les pays participants. Sur ce budget, le FEM contribue à hauteur de 2,2 millions. Les 7 millions restants sont versés par les pays participants, les agences d’exécution et les donateurs.
Les pays participants sont l’Albanie, l’Algérie, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, l’Égypte, la Libye, le Maroc, le Monténégro, la Palestine, la Syrie et la Tunisie.
L’Agence d’exécution est le PNUE/PAM. Ses partenaires exécutifs sont le CAR/PAP, CAR/Plan Bleu et le GWP-Med.
Quel est le rôle de MedICIP ?
MedICIP est une contribution en ligne de plusieurs pays pour partager des informations et des données sur les changements et la variabilité climatiques dans les zones côtières méditerranéennes.
L’UNEP GRID de Genève et l’Université de Genève ont été contactés par le Plan Bleu et le PNUE-PAM pour assurer le développement technique de la plate-forme et les sessions de renforcement des capacités auprès des pays pour servir des données (via MedICIP).
MedICIP doit être considérée comme un « portail de portail » qui rassemble et met en partage des données, informations et liens internet vers des institutions nationales et régionales. MedICIP prend en considération les besoins des parties prenantes et la disponibilité des données identifiées lors d’ateliers nationaux qui ont eu lieu au cours de l'année 2013.
La plate-forme est entièrement basée sur un logiciel open-source fiable. Sa structure est évolutive et interopérable avec les systèmes d’information géographique (SIG) des pays qui restent propriétaires de leurs informations et qui choisissent de mettre en ligne ce qu’ils souhaitent. MedICIP, via des adresses web, donne accès à des informations hébergées sur des serveurs nationaux.
Le projet permet de :
MedICIP possède les fonctionnalités suivantes :
1. Une infrastructure de données spatiales (IDS) en mesure de fournir un catalogue de métadonnées locales, de récolter des catalogues de métadonnées externes et de servir des données, mais aussi des métadonnées grâce à des services web interopérables et normalisés
2. Une interface de cartographie en ligne permettant aux utilisateurs de :
3. Une base de données de référence permettant aux utilisateurs de rechercher des informations de référence, des institutions, des acteurs, des experts, des programmes et des rapports sur les impacts climatiques et l'adaptation, par mots-clés, pays ou thèmes.
Quel est sa plus-value pour les acteurs méditerranéens ?
Bien qu’actuellement de nombreux projets développent leur propre plate-forme ou site web, la plus-value de MedICIP est indéniable. Cette plate-forme est un outil de référence pour la coopération et l'innovation en Méditerranée.
MedICIP propose des solutions pour les décideurs et les scientifiques. En effet, MedICIP offre un espace pour mettre en réseaux les acteurs grâce à sa base de contacts qui rassemble les coordonnées d’experts et représentants d’institutions nationales de haut niveau de sept pays riverains de la Méditerranée. MedICIP offre aussi la possibilité de consulter et de télécharger plus de 1100 couches SIG provenant de 6 serveurs. MedICIP centralise de nombreux documents et rapports d’études traitant de la GIZC en méditerranée.
Les pays sont appelés à participer de manière active au processus de partage de l'information en se servant des données nationales. La plus-value de MedICIP est de justement mettre en partage ce qui existe actuellement dans certaines institutions nationales et de favoriser la diffusion des informations qui est parfois très limitée.
Qui va l’animer et encourager le partage des données sur le long terme ?
Il s’agit d’un point crucial. Actuellement, le Plan Bleu assure la mise à jour des informations. Pour une durée de 2 ans et jusqu’à fin 2016, l’UNEP GRID de Genève assurera quant à lui l’hébergement de MedICIP. Au-delà de cette date, d’autres pistes sont à l’étude, comme :
Il est à noter que les « points focaux » des pays sont les contacts privilégiés du Plan Bleu et du PAM pour assurer le relais entre les niveaux régionaux et nationaux.
Selon vous, la gouvernance actuelle en zone côtière méditerranéenne a-t-elle les moyens de renforcer l’adaptation au changement climatique ?
La prise de conscience du changement climatique comme une réalité avec laquelle il va falloir composer est évidente à tous les échelons de la décision quels que soient les pays du bassin méditerranéen. Ceci est d’autant plus vrai depuis les récents travaux du GIEC qui identifie cette mer régionale comme extrêmement vulnérable aux impacts du changement climatique. De plus, de nombreux pays méditerranéens ont rédigé leurs contributions nationales dans le cadre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC).
La gouvernance régionale actuelle se met en place en suivant une démarche novatrice. En promouvant le 7ème protocole de la Convention de Barcelone dédié à la GIZC, les centres d’activités régionales du Plan d’action pour la Méditerranée œuvrent pour une meilleure gouvernance régionale et pour renforcer l’adaptation au changement climatique en zone côtière méditerranéenne.
Au niveau des pays, des institutions nationales prennent le relais. Concrètement, cela se traduit par l’organisation d’ateliers participatifs au cours desquels des acteurs de tous horizons se réunissent pour discuter et trouver des solutions concertées d’adaptation.
Dans ce contexte, la plate-forme MedICIP apparaît clairement comme un outil d’appui à la GIZC.
Mars 2015
Interview de Serge Mang-Joubert
Le projet Sommet(s) pour le climat (SPLC) est l’une des (très) belles initiatives de l’année 2015 pour relever « ensemble le défi climatique ». Cette démarche ambitieuse visant à transmettre un message fort a rencontré un vif succès dans les territoires alpins et au-delà. Les effets du changement climatique sont déjà sensibles dans les Alpes, mais aussi dans les toutes les montagnes du monde. Elles sont aux avant-postes, car la température de l’air y augmente plus vite qu’ailleurs. Soucieux de préserver les équilibres montagnards, les initiateurs du projet ont voulu valoriser les solutions à toutes les échelles afin d’entrer véritablement dans la transition énergétique. Pour évoquer ce projet qui est à la fois une œuvre individuelle et collective, inspirée des valeurs de l’alpinisme, nous avons fait appel à Serge Mang-Joubert, cofondateur et co-animateur du Sommet(s) pour le climat. Il a assuré la coordination générale, les travaux cartographiques et le pilotage du site web. Âgé de 38 ans, ce consultant en systèmes d'information géographique à arx iT est passé par l’École centrale de Lyon, l’École nationale des sciences géographiques (ENSG), ViaMichelin, GAIA Mapping, puis GAIAGO devenu le pôle conseil d’arx iT. Serge a accepté de revenir sur les actions du Sommet(s) pour le climat qui se poursuivent aujourd’hui.
Parlez-nous du projet Sommet(s) pour le climat…
Sommet(s) pour le climat (SPLC) est un collectif dont le but est de diffuser, via des actions médiatiques en montagne, un triple message :
La saison I de SPLC est en cours d’achèvement avec des projections du film programmées dans différents lieux et l’envoi des contreparties destinées aux cofinanceurs (crowdfunding). Une saison II est en préparation. En décembre dernier, une partie de l’équipe est montée au Dôme du Goûter dans le massif du Mont-Blanc pour y porter une banderole pendant la COP21 : « System change, not climate change ».
Qui sont les initiateurs du projet ? Comment l'équipe s'est-elle constituée ?
J’ai lancé le projet en janvier 2015 avec Vincent Legrand, directeur de l’Institut négaWatt, qui a été le premier à lancer l’idée d’une traversée des Écrins pour parler du climat. J’ai vite invité Pascal Ferren, philosophe au Pôle des arts urbains (pOlau, Tours), et François-Xavier Cierco, ingénieur hydraulicien à la CNR et accompagnateur en moyenne montagne, à nous rejoindre. Puis, nous avons proposé à Liv Sansoz, double championne du monde d’escalade, de participer également à ce projet. Ensuite, une dizaine de personnes, toutes bénévoles et de tous horizons, ont renforcé l’équipe qui se singularise par sa diversité, sa créativité et sa solidarité. Ma femme, Lara Mang-Joubert, spécialiste du changement dans le domaine de l’écologie, fait également partie de l’épopée. La richesse du collectif a principalement résidé dans le partage des valeurs montagnardes, en particulier l’authenticité : le fonctionnement du groupe était tel que chacun pouvait être lui-même avec sa part d’ombre et de lumière, tout en bénéficiant de la pleine confiance de tous.
Lorsque nous commencions notre réunion hebdomadaire sur Skype, nous faisions d’abord un tour « météo » de chacun, chargés des nuages de nos journées de travail. Même exercice, lorsque, deux voire trois heures plus tard, nous clôturions la communication. La plupart du temps, nous constations avec un sourire partagé que la météo de chacun avait totalement changé. Pour du grand beau !
Une autre force du collectif s’est illustrée dans la puissance de son réseau professionnel : écologie, énergie, montagne, géomatique, urbanisme, production audiovisuelle, accompagnement… Par exemple, l’association Mountain Wilderness nous a soutenus dès le démarrage, ce qui a été un formidable tremplin.
Quels sont les enseignements de la traversée du massif des Écrins ?
La traversée du massif des Écrins s’est faite dans des conditions totalement hallucinantes : 21 jours de grand beau temps et de canicule en plein mois de juillet. Du jamais vu ! C’est un peu comme si la montagne avait voulu nous aider à porter notre message à quelques mois de la COP21. D’un côté, elle a montré les effets des températures élevées et de la canicule qui ont mis fin aux courses glaciaires dès mi-juillet et d’un autre, elle a permis à la cordée principale (Vincent Legrand et Pascal Ferren) de réaliser l’intégralité des objectifs et même plus, puisque la cordée a pu s’attaquer, entre autres, au pilier NE des Bans.
Lors de la traversée, les valeurs les plus fortes ont été l’autonomie, l’endurance, l’engagement, la solidarité, la convivialité, le plaisir, l’adaptation, le partage, la persévérance, mais aussi l’intelligence collective, l’amitié, l’humour, le détachement et la liberté. Ces nombreuses valeurs vont jouer un rôle majeur dans le changement de société qui nous attend dès maintenant. L’une d’entre elles, essentielle pour « ralentir la machine infernale » de notre fuite en avant collective, n’a toutefois pas été mise en pratique : elle se nomme le « rien faire ». Nous avons été incapables de l’appliquer et de la vivre ! C’est symptomatique… Il faut dire que tout est allé très vite puisque le projet a démarré véritablement en mars 2015. Nous avions quatre mois pour tout mettre en place et tout réaliser : la communication, les partenaires, les financements, la logistique, les bénévoles, la traversée, le film et les infographies 3D de l’itinéraire dans les Écrins (d’ailleurs, merci au CRIGE-PACA pour les données !)…
Pour monter ce projet d’envergure, quels ont été les principaux obstacles ? Le financement participatif a-t-il joué un rôle déterminant ?
Nous n’avons pas eu assez de temps pour obtenir des financements auprès de partenaires. Le projet était accueilli avec intérêt, mais soit les dates étaient passées, soit les processus étaient trop longs. Ce manque de temps a engendré un manque de moyens financiers et nous avons fait ce que l’Institut négaWatt propose pour sortir des énergies fossiles, à savoir agir sur trois leviers simultanément : la réduction des consommations (ici, réduction du budget), l’optimisation de toute la chaîne de production et de consommation (ici, la débrouillardise et l’appel aux ressources professionnelles de notre réseau, mais à titre bénévole) et enfin les énergies renouvelables (ici, le crowdfunding). Il est clair que le financement participatif a joué un rôle assez déterminant. Sans les contributeurs que nous remercions vivement, le film n’aurait pas vu le jour. Nous remercions également nos partenaires financiers institutionnels : la ville de Grenoble, le Parc national des Écrins et la Fédération des clubs alpins de montagne (FFCAM). Nous avons démontré que, même avec trois sous, un tel projet pouvait aboutir, à condition que la volonté soit au rendez-vous.
Quelles sont les perspectives pour Sommet(s) pour le climat ?
En quelques mois, nous avons eu la surprise (et la joie) de constater que SPLC avait acquis une vraie visibilité, une légitimité et une notoriété importante dans certains milieux, surtout depuis la conférence internationale Montagne et Climat du 11 novembre 2015, organisée conjointement par la ville de Grenoble et les Rencontres du cinéma de montagne. Notre film a été projeté en ouverture de soirée dans une salle remplie de 4000 spectateurs. Nous disposons maintenant d’une reconnaissance, d’une équipe rôdée et d’outils en place (comme le site web, par exemple). Avec toutes ces ressources, il est très tentant d’enchaîner sur le sommet suivant. Des projets sont en préparation pour la saison II, mais cela reste à préciser. Nous aimerions continuer à porter les valeurs de l’alpinisme et à proposer au grand public de se les approprier pour affronter au quotidien l’Everest que constitue la grande aventure collective de la transition énergétique. Le problème est que l’équipe de SPLC est composée uniquement de bénévoles et qu’elle a atteint, voire dépassé ses limites. Il va falloir doser l’effort, comme en montagne !
La COP21 a-t-elle répondu à vos attentes ?
Je n’attendais finalement pas grand-chose de la COP21. Nous pensions que tout se décidait en "off" d’une COP à l’autre, entre sherpas (c’est d’ailleurs une terminologie alpinistique !), et que la grand-messe de Paris ne servirait qu’à entériner les quelques résultats obtenus de haute lutte les mois précédents. De fait, il n’en est sorti aucune obligation chiffrée. Trois éléments m’ont finalement positivement surpris :
Comment rêvez-vous les Alpes en 2040 ?
En 2040, les hivers seront probablement doux et humides, et la limite de l’enneigement sera plus élevée. Seules les grandes stations situées en haute altitude continueront à proposer des sports d’hiver. Dans tous les cas, il va non seulement falloir atténuer les impacts des activités humaines sur le climat, mais aussi s’adapter aux bouleversements déjà en cours.
En 2040, je rêve d’une montagne "slow" (à l’image des slow cities, de slow food) qui agirait comme un remède général à notre civilisation et à son "burn out".
Je rêve d’une montagne qui aurait retrouvé son authenticité, avec une économie basée sur une utilisation symbiotique des ressources locales : eau (il en restera, mais il faudra l’utiliser avec parcimonie), gravité, forêt, prairies, tourisme, biodiversité, lieu de transit, culture, industries…
En ce qui concerne le tourisme, je rêve d’un changement radical de ses missions : les besoins de consommer la nature doivent être réorientés vers la rencontre de la nature et la découverte de soi en profitant de ce que la montagne a de plus emblématique à nous offrir : le ressourcement, la beauté, la lumière, la pureté de l’air et de l’eau, le sauvage…
Je rêve de stations de ski réduites, sans neige de culture, avec un parc d’hébergement repensé pour être utilisé toute l’année, esthétique et bien isolé (tout le contraire des HLM à 2000 m d’altitude construits dans les années 70) ; je rêve d’une montagne redevenue silencieuse, sans quad, 4x4, trial ou motoneige (sauf pour alimenter les bergeries et les refuges) ; je rêve d’une agriculture basée sur l’optimisation des ressources forestières (actuellement trop morcelées) et sur un élevage respectueux des espaces herbacés ; le loup serait officiellement accepté par le plus grand nombre, car tous auraient compris qu’il protège les vallées des éboulements en régulant les ongulés qui dévorent les forêts, elles-mêmes stabilisatrices des sols dans un contexte d’augmentation des effondrements (fonte du permafrost) ; l’autonomie énergétique serait atteinte grâce à la biomasse, l’hydroélectricité (voire même le développement des industries hydromécaniques, comme les scieries ou les moulins, sans pertes de rendement) et le solaire avec l’équipement des toitures des bâtiments situés dans les vallées les plus ensoleillées ; les territoires de montagne seraient privilégiés pour faire des territoires à énergie positive (TEPOS) réels ; les transports en montagne changeraient aussi. Avec la fibre optique, les déplacements seraient réduits (télétravail). Le stop qui marche déjà bien en montagne serait institutionnalisé tout comme ses cousins : le transport à la demande, les taxis collectifs et le covoiturage. La montagne resterait toujours un lieu de transit. Au lieu d’être un facteur de déshumanisation des territoires (commune de Livet-et-Gavet, par exemple) avec toujours plus de rocades pour aller plus vite vers les paradis enneigés, le transit pourrait devenir une ressource. Dans une "slow mountain", l’objectif ne serait plus de gagner une heure de ski sur sa semaine de vacances, mais de profiter de chaque moment. Chaque lieu de transit serait riche de tout un patrimoine à offrir aux visiteurs de passage.
Et je rêve qu’il reste en 2040 dans les Alpes, grâce aux avancées internationales et aux efforts de chacun(e) d’entre nous, des glaciers et des ancolies.
Janvier 2016
Interview de François Dulac
L’état de l’atmosphère en région méditerranéenne évolue constamment. Pour mieux connaître ses mécanismes physico-chimiques, son évolution dans le temps et son impact sur la pollution de l'air, le climat et la mer, le projet ChArMEx (The Chemistry-Aerosol Mediterranean Experiment) a été lancé par une équipe de chercheurs internationaux. A l’origine de ce projet de recherche, François Dulac, ingénieur au CEA et chercheur au Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement (LSCE*), a accepté de répondre à nos questions.
En quoi consiste le projet ChArMEx ?
ChArMEx est un projet de recherche initié en France qui vise à coordonner les efforts de la communauté internationale pour faire un état des lieux de l'environnement atmosphérique en Méditerranée. Le but est de mieux comprendre les impacts de la chimie de l’atmosphère, mais aussi du transport à grande distance de la pollution atmosphérique, sur la qualité de l'air, le climat régional et la surface de la mer. Prédire leur évolution pour ces prochaines décennies fait aussi partie des objectifs.
Par chimie de l’atmosphère, on entend les espèces réactives dont le temps de résidence dans l'air est de quelques minutes (ou moins) à quelques semaines, par opposition aux gaz à effet de serre (GES), comme le CO2 par exemple, pour lesquels les concentrations varient peu dans l'espace et le temps. Les espèces à vie courte comme les particules en suspension, les composés organiques, les oxydes d'azote gazeux ou encore l'ozone ont des concentrations très variables dans l'espace et le temps, ce qui complique l'analyse. De plus, de nombreux polluants, dits secondaires, ne sont pas émis directement et se forment dans l'air (ozone par exemple). Les modèles de chimie-transport ont du mal à estimer précisément leurs concentrations.
ChArMEx est l'un des projets du programme pluridisciplinaire régional décennal (2010-2020) MISTRALS**, coordonné par l'INSU, pris en charge par les agences françaises finançant les recherches environnementales (ALLENVI) et labellisé par l'Union pour la Méditerranée. L'habitabilité du bassin méditerranéen est au centre des enjeux. La première phase expérimentale de ChArMEx (2010-2014) s'est principalement focalisée sur le bassin occidental. Une seconde phase est en cours de montage avec de nouvelles expériences dans les bassins central et oriental.
Quels sont les partenaires ?
ChArMEx mobilise la communauté scientifique nationale travaillant sur la chimie de l’atmosphère, soit des équipes appartenant à 25 instituts au total. Cela concerne essentiellement des laboratoires relevant des sciences de l'Univers, mais également des agences agréées de surveillance de la qualité de l’air, comme Air PACA et Qualitair Corse. De nombreuses collaborations internationales enrichissent la recherche : plus de 20 équipes étrangères qui ont leur propre financement, réparties dans 15 pays différents à majorité méditerranéens, participent au projet.
En France, ChArMEx est financé à travers le programme MISTRALS et de nombreux appels à propositions de recherche auxquels répondent les équipes impliquées. Les principaux financeurs sont ADEME, ANR, CEA, CNES, CNRS/INSU, Météo-France, Région PACA, CTC…
Pourquoi le bassin méditerranéen est-il si concerné par la pollution de l’air et le changement climatique ?
Les modèles climatiques régionaux prédisent que le bassin méditerranéen sera l'une des régions les plus affectées par le changement climatique avec une aggravation des sécheresses, une augmentation de la température de l’air et des épisodes de pluies intenses… Les modèles indiquent que le climat méditerranéen actuel devrait s'étendre à une grande partie de l'Europe avant la fin du siècle.
Compte tenu des interactions entre la pollution atmosphérique et le climat, on suppose que des boucles de rétroactions positives auront un impact sur les deux composantes avec notamment des effets aggravants. Les projections du changement climatique ne prennent pas en compte ou très mal ces rétroactions.
L’air méditerranéen, surtout en été, est plus pollué que celui de la plupart des régions continentales européennes. Lors de notre première campagne d’été sur un site isolé du Cap Corse, nous avons observé des charges en particules supérieures à ce que nous mesurions en parallèle au LSCE en Ile-de-France. Le Caire est l'une des villes les plus polluées du monde en particules. Le pourtour du bassin méditerranéen est déjà très peuplé et on s'attend à une forte augmentation de la densité de population au sud et à l'est du bassin, avec des problèmes accrus de ressources en eau et d'exposition à la pollution atmosphérique.
Quelles réponses peuvent apporter les expérimentations du projet ChArMEx sur l’évolution de l’état de l’atmosphère en Méditerranée ?
ChArMEX commence sa phase de valorisation scientifique. De nombreuses thèses sont en cours ou commencent, et l'exploitation des premières campagnes de mesures va demander plusieurs années, en particulier pour résoudre les questions relatives à l'avenir. L’objectif est de montrer les limites des modèles et de proposer des solutions pour rendre plus fiables les simulations numériques de la qualité de l'air et du climat. Les retombées au niveau des modèles opérationnels seront concrètes dans quelques années.
Parmi les premiers résultats importants, nous avons récemment montré l'intérêt d'assimiler les observations de la distribution verticale des particules dans un modèle de prévision de la qualité de l'air en surface. Ce type d'observations avec des instruments de télédétection de type LIDAR est effectué actuellement par le réseau de recherche européen ACTRIS/EARLINET. Les épisodes de cendres volcaniques paralysant le trafic aérien ont favorisé l'émergence de réseaux opérationnels nationaux de surveillance par LIDAR en Europe, donc, à court terme, il y aurait intérêt à fédérer ces réseaux et à utiliser leurs mesures pour mieux anticiper l’intensité des épisodes de pollution urbaine. Un autre résultat montre que les particules en suspension dans l'air (aérosols) participent à la diminution de l'évaporation à la surface de la Méditerranée, ce qui se traduit par une diminution des précipitations. Les simulations montrent également que les modèles climatiques actuels qui reposent sur des moyennes mensuelles des charges en aérosols ne reproduisent pas correctement l'effet sur le climat des aérosols dont les concentrations en un lieu donné peuvent varier de plus d'un ordre de grandeur du jour au lendemain.
Comment appréhendez-vous l’échelle régionale dans un contexte de changement global ?
Les satellites sont très utilisés pour appréhender l'échelle régionale et l'étude des tendances à long terme, mais ils ont des limites en termes de paramètres, de couverture temporelle et spatiale (pas d'observations sous les nuages, par exemple). On réalise également des expériences avec des avions et des ballons instrumentés pour effectuer des observations ponctuelles dans le temps, mais étendues sur plusieurs centaines de kilomètres. L'intégration des connaissances à l'échelle régionale se fait aussi par des modèles tridimensionnels avec lesquels on essaie de représenter la chimie atmosphérique et le climat, leurs interactions, à la fois pour le présent et le passé récent, mais également pour le futur en utilisant des scénarios d'évolution de la société.
La coopération scientifique et technique entre les pays méditerranéens est-elle difficile à mettre en place ? En quoi est-elle primordiale pour l’avancement du projet ChArMEx ?
Les résultats des recherches entreprises sur la pollution atmosphérique et ses impacts sur le climat concernent l'ensemble des pays du bassin méditerranéen à court, moyen et long terme. Il est donc important de les intégrer à l’échelle régionale. Même si cette dimension est partagée par les experts, la coopération internationale reste très difficile à mettre en place de façon efficace et durable. ChArMEx reste un projet français à au moins 80% en termes de chercheurs impliqués et de financements. Sous prétexte d'excellence et de retombées à court terme pour la société, les appels à projets sont devenus trop compétitifs et contraints, notamment ceux de la Commission européenne. Après des mois de travail pour la préparation du dossier, notre projet, classé second, n'a pas été financé par le programme de R&D en environnement qui offre de trop rares opportunités d'ouverture à la recherche fondamentale sur les processus naturels du système Terre.
En ce sens, la coopération au sein de ChArMEx repose plutôt sur des coopérations bilatérales, car les opportunités pour financer des échanges de personnels pour des durées limitées existent. Mais, pour nos partenaires, il est souvent très difficile de couvrir des coûts d'équipement et de fonctionnement. Le financement de la recherche, dans de nombreux pays méditerranéens européens qui sont en grande difficulté économique, est désorganisé, voire quasi-inexistant. Dans les pays où la recherche est moins développée qu'en Europe occidentale, la communauté scientifique n'est généralement pas organisée au niveau national et elle relève d'instituts et d'universités qui ont souvent davantage de volonté ou d'intérêts à se concurrencer qu'à travailler ensemble. Dans certains pays, l'importation d'instrumentation fabriquée à l'étranger relève du parcours du combattant et s'accompagne de surcoûts très importants.
Avec l'aide de la Commission européenne, un programme euro-méditerranéen de R&D (ERANETMED) a récemment vu le jour. Ce dernier implique la plupart des pays méditerranéens et favorise pour chacun d’entre eux le financement de leur propre communauté scientifique, mais les participants ont malheureusement choisi de cibler l’appel à propositions de recherche qui vient d'être ouvert sur les énergies renouvelables et la gestion des ressources en eau, des thèmes assez éloignés de ceux de ChArMEx. Il nous faut faire feu de tout bois pour trouver des financements tout en maintenant une cohérence des objectifs et du calendrier d’actions. Comme vous l’imaginez, c’est compliqué. Nous avons ainsi dû organiser et réaliser nos campagnes d’été sans connaître la totalité des budgets annuels finalement alloués.
Quels sont les objectifs des prochaines campagnes de mesures ? Où sont-elles programmées ?
Deux futures grandes campagnes sont programmées (sous réserve d'obtention des financements) :
*laboratoire CEA-CNRS-UVSQ
**Mediterranean Integrated Studies aT Regional And Local
Scales
Décembre 2014
Interview de Martial Bouvier
Technicien à France Télécom pendant 20 ans, Martial Bouvier a été recruté par les parcs nationaux, en qualité de garde-moniteur, en 1999. Après 4 ans de service au Parc national du Mercantour, il a rejoint l’équipe du Parc national des Ecrins. Ses missions dans le secteur de l’Embrunais sont multiples : surveillance « Police », suivi scientifique, accueil et animation tout public, rôle de relais auprès des acteurs locaux… Depuis maintenant 11 ans, il est chargé du pilotage du groupe « Glaciers » qui réalise des suivis réguliers, organise des campagnes de mesures, coordonne les actions… Cette mission transversale prend 20 à 25% de son temps de travail. Pour renforcer les mesures sur le glacier Blanc, le groupe « Glaciers » va peut-être entrer dans une phase de monitoring international (délibération du Conseil scientifique en mars prochain).
Face au changement climatique, comment réagissent actuellement les glaciers du Parc national des Ecrins ?
D’une manière générale, les plus gros glaciers du Parc national des Ecrins régressent et les plus petits ont tendance à disparaître. En 30 ans, la surface englacée du massif est passée de 100 km² à 63 km² aujourd'hui. Une trentaine de glaciers d’une superficie inférieure à 10 hectares n’existent déjà plus.
Quelle est plus spécifiquement la situation du glacier Blanc qui est suivi depuis plus d’un siècle ?
Le glacier Blanc, le plus grand glacier des Alpes méridionales, a perdu 720 mètres de longueur en 28 ans. En 1986 se terminait sa dernière petite crue… Depuis 15 ans, il perd en moyenne un peu plus de 50 cm par an d’épaisseur (épaisseur moyenne sur l’ensemble de sa surface). Les mesures de bilan de masse en attestent.
Des nouvelles de l’écureuil qui se promenait à 3300 m d’altitude sur le glacier Blanc en octobre dernier ?
Le 2 octobre dernier, pour le dernier relevé de l’année, nous avons fait cette surprenante observation : les traces d’un écureuil au bout du plateau du glacier Blanc à quelques 4 km du dernier arbre. Les traces dans la neige tombée l’avant-veille n’étaient visibles qu’au dessus de 3150 m (limite pluie-neige). L’animal a dû se perdre la veille de notre visite dans le « grand blanc » (brouillard). Pourquoi est-il allé si haut ? Il a peut-être été poursuivi par un prédateur. J’espère qu’il a trouvé la sortie, vers le bas ! D’autres espèces se sont déjà retrouvées perdues là-haut : sangliers, chauves-souris, passereaux…
Quel impact du recul des glaciers sur les ressources en eau ?
Les glaciers ont un rôle de régulation des cours d’eau. En fin d’été, l’apport d’eau des torrents vient essentiellement de la fonte de la glace (pour les vallons qui ont des glaciers !). On va certainement vers des débits torrentiels très fluctuants : crues au printemps et étiages importants à l’automne. Sans compter que le stock d’eau solide que constituent les glaciers diminue et que le niveau des océans monte !
Quels sont les outils pédagogiques du Parc national des Ecrins pour communiquer sur le changement climatique auprès du grand public et des scolaires ?
Le Parc dispose de différents outils (liste non exhaustive) :
Votre métier de garde-moniteur a-t-il évolué depuis 10 ans ?
Le métier de garde-moniteur évolue continuellement : multiplication des réunions et des comptes rendus, sollicitations de la direction, rédactions pour la « com », mais aussi enrichissement des bases de données, informatique… En clair, le garde-moniteur passe de plus en plus de temps devant l’ordinateur au détriment du terrain ! Il doit s’adapter et répondre à de nouvelles contraintes.
En un mot, comment définiriez-vous le Parc national des Ecrins ?
Sauvage (pour la zone centrale du Parc).
Janvier 2015
Interview de Maxime Nocher
Maxime Nocher, originaire de Cagnes-sur-mer (Alpes-Maritimes), est un kitesurfeur de haut niveau : à 20 ans, il est déjà 5 fois champion du monde toutes catégories et 9 fois champion de France. Entre deux compétitions, il a accepté de répondre à nos questions.
La qualité de l’air sur le littoral ou au large des côtes est parfois mauvaise(ozone, particules en suspension...). En tant que citoyen et sportif, êtes-vous suffisamment informé sur les conséquences de la pollution de l’air sur la santé humaine ?
Je dirais que oui, même si la sensibilisation auprès du grand public est encore insuffisante. Mais tout le monde sait désormais que la pollution de l’air provoque des maladies graves, comme les cancers. Les indices de la qualité de l’air sont de bons indicateurs, mais ils concernent surtout les grandes villes, comme Nice par exemple. Lors des entraînements, les kitesurfeurs ne tiennent malheureusement pas compte de la pollution de l’air, mais je peux vous dire que, selon les jours, la récupération physique pendant et après l’effort n’est pas la même. Avant les grandes échéances sportives, nous séjournons à la montagne pour respirer un air pur. Le travail physique passe par là.
Pierre Vaultier, champion olympique à Sotchi, constate que les snowboarders de haut niveau parlent peu du changement climatique. Qu’en est-il des kitesurfeurs ?
Le changement climatique est réel. Les kitesurfeurs constatent des changements de saison en saison et d’année en année. Il est toujours hasardeux de
tout imputer au bouleversement climatique, mais, aujourd’hui, certaines conditions météorologiques sont difficilement compréhensibles et maîtrisables : des vents thermiques disparaissent et des
alizés s’essoufflent. Cela a une incidence directe sur la pratique de notre sport.
Le changement climatique risque de bouleverser les écosystèmes de la mer Méditerranée (invasions biologiques,
proliférations de pathogènes, acidification de l’eau…). À travers votre association MNPK qui promeut la pratique du kitesurf et l’organisation d’événements (compétitions, régates…) liés à votre
sport, quelles actions pouvez-vous mener ?
Sans parler du changement climatique, la qualité de l’eau se dégrade avec des rejets en mer qui ne cessent pas. La mer et les océans deviennent une
poubelle et ce sont souvent les mammifères qui en font les frais. En France, nous sommes encore relativement gâtés, même s’il ne faut pas nier les problèmes. A l’étranger, la situation est
parfois beaucoup plus précaire avec une pollution visible à l’œil nu. L’Agenda 21 de la métropole Nice-Côte d’Azur qui inclut la commune de Cagnes-sur-mer, est un bon début pour préserver
l’environnement, mais ce sont les citoyens qui changeront la donne. Je pense notamment aux modes de vie, de consommation…
Le kitesurf est un sport écologique ne polluant pas directement la mer qui est
notre lieu de jeu et/ou de vie. Je compte m’appuyer sur mon expérience pour sensibiliser les citoyens. Dans un premier temps, mon but est de mobiliser le grand public pour nettoyer les plages et
promouvoir le recyclage.
Novembre 2014
Interview de Pierre Carrega
Pierre Carrega est un géographe accompli, reconnu par ses pairs. Professeur de géographie à l’Université de Nice-Sophia Antipolis, spécialisé en climatologie et risques, il est aujourd’hui responsable de l’équipe « Gestion et Valorisation de l’Environnement » de l’UMR Espace, directeur du Master Climat, Risque, Environnement et Santé (CRES) et membre du Conseil supérieur de la météorologie. Après une solide formation (agrégation de géographie, doctorat de 3ème cycle et doctorat d’Etat), une riche carrière dans la recherche et l’enseignement, au cours de laquelle il a gravi tous les échelons, d’assistant à professeur, en passant par doyen, mais aussi président de la commission « climat et société » du Comité national français de géographie, il s’apprête à prendre sa retraite, enfin presque… Après 38 ans de vie universitaire, dont la moitié en tant que professeur, il a envie de conserver des activités et des responsabilités. Avec le souci de ne pas fausser les pistes et d'éviter les raccourcis, Pierre Carrega a accepté de répondre à nos questions.
Quels sont les axes de recherche de l’UMR Espace de Nice sur le climat et l’air ?
La climatologie est depuis longtemps un axe majeur de l’UMR Espace (et des labos qui ont précédé ce statut). Dès 1982, les résultats de ma thèse de 3ème cycle sur les facteurs climatiques limitants de part et d’autre de l’Argentera (France/Italie), avec le développement d’une méthode d’interpolation spatiale, ont contribué aux efforts de recherche. D’une manière générale, de nombreux travaux ont porté sur les méthodes d’interpolation spatiale (dont ma thèse d’Etat), les relations entre risques et climat, risques et météorologie… Ces travaux ont d’ailleurs fait l’objet de contrats européens à partir des années 90, sur le thème des feux de forêts en particulier. L’arrivée de Jean-Pierre Laborde en 1988 a aussi été une étape déterminante pour l’étude des fortes précipitations avec un focus sur leur spatialisation et leur influence sur les crues. Parallèlement, la climatologie urbaine s’est développée avec l’analyse des relations entre météorologie et pollution de l’air, et le recrutement de Nicolas Martin en 2009 qui s’intéresse aussi à l’évolution de l’enneigement dans les Alpes du Sud. Toutes ces recherches ont donné lieu à divers contrats avec des industriels ou des collectivités territoriales, surtout pour la réalisation de leur « plan-climat ».
Le nombre d’occurrences de fortes pluies est relativement élevé dans les Alpes-Maritimes. Faut-il s’attendre à une multiplication des événements extrêmes à court, moyen et long terme dans le département et plus largement en PACA ?
Il est exact que les précipitations peuvent être très abondantes dans les Alpes-Maritimes, sans toutefois atteindre les extrêmes enregistrés dans les Cévennes ou en Ligurie génoise. Des cumuls mensuels sont significatifs : par exemple, 563 mm en novembre 2014 à Nice sur un total annuel de 1260 mm. Un record ! Les précipitations quotidiennes ou horaires peuvent être très fortes, mais, contrairement à des rumeurs infondées et souvent relayées, elles ne sont pas du tout en augmentation. La même tendance a été vérifiée sur les 50 dernières années en Toscane (dont les Alpes Apuanes qui enregistrent des records de 350 mm/jour) où l’on observe une diminution généralisée et non un accroissement des précipitations. Il faut évidemment se garder d’extrapoler ces tendances, mais ce constat ne doit pas être occulté, car les projections climatiques de certains modèles régionaux « parlent » d’une augmentation des extrêmes dans le futur. D’une manière générale, il faut considérer les précipitations prévues à court, moyen ou long terme avec prudence, voire méfiance, car l’incertitude est très grande pour cette variable climatique.
Quel sera l’impact du dérèglement climatique sur l’enneigement des Alpes du Sud ? Quel est l’avenir des stations de ski dans les Alpes-Maritimes ?
L’enneigement dépend de deux variables : quantités de précipitations et températures. Cette dernière intervient doublement : elle fixe l’altitude de la limite pluie/neige lors de la chute et, ensuite, elle conditionne fortement la conservation ou la fusion du manteau neigeux. Le devenir des quantités de précipitations hivernales est très incertain, mais la hausse des températures ne semble faire aucun doute. Il faut donc raisonnablement s’attendre à ce que la neige tombe de plus en plus haut, avec des températures plus élevées qui accélèreront la fusion du manteau neigeux. L’autre acteur de la fusion (ou de la sublimation) de la neige est le rayonnement solaire dont le comportement futur (selon la nébulosité) est également assez incertain, sauf peut-être en été où le nombre de jours avec temps anticyclonique clair devrait progresser. On en déduit aisément que l’avenir des stations de ski n’est pas rose, à commencer par celles situées en moyenne altitude.
Quelle est l’influence de la topographie et de l’habitat sur la température de l’air en milieu urbain ? Quelles sont les solutions pour limiter la chaleur dans les villes ? Ces solutions limiteraient-elles aussi la pollution de l’air ?
La question est bien posée ! Toute ville est située dans un contexte topographique qui l’influence (et préexistait à son développement), en même temps qu’elle influence elle-même le climat en produisant, mais surtout en stockant de la chaleur en raison des matériaux qui la composent (pierre, béton, asphalte, etc.). Donc, tout point d’une ville est susceptible de se différencier de ses voisins si le relief est marqué dans la ville (situation d’encaissement, effet de pente ou position au sommet d’une colline), mais aussi selon les caractéristiques urbaines (densité de l’habitat, hauteur des immeubles, largeur et orientation des rues, etc.) de l’environnement où il se situe.
Les solutions pour limiter la chaleur (en été) dans les villes reviennent à moins en produire, recevoir ou stocker et à mieux la renvoyer. Moins en produire peut se faire en utilisant des véhicules dégageant moins de chaleur (moteurs électriques), en renforçant l’isolation (ce qui, au passage, diminue les besoins en chauffage) ; moins recevoir de chaleur signifie davantage réfléchir le rayonnement solaire (albédo élevé) comme dans les villes où la couleur blanche domine. Cela passe aussi par la protection en accroissant l’ombre (les ruelles du Vieux-Nice ou des villages anciens offrent de l’ombre en été). Pour cela, il est nécessaire de favoriser les rues relativement étroites, planter des grands arbres (surtout le long des rues insolées) dont l’effet rafraichissant est lié à l’interception du rayonnement solaire direct et à la chaleur latente consommée par l'évapotranspiration. Mais il ne faudrait pas oublier que pour consommer de la chaleur latente, donc pour rafraîchir l’air, l’apport d’eau doit être important, et planter des essences méditerranéennes peu consommatrices d’eau pendant la saison estivale ne sert pas à grand-chose, sauf à économiser l’eau (qui est rare en été) au prix d’un faible rafraîchissement ! Il faut donc trouver un équilibre ; diffuser la chaleur signifie favoriser l’écoulement de l’air, donc prendre en compte, quand c’est possible, l’orientation des artères par rapport au vent. A échelle plus fine, la diffusion passe par une meilleure gestion de l’ouverture et de la fermeture des fenêtres en été (cela s’apprend), mais aussi de l’occultation par les volets pour se protéger du rayonnement solaire direct ou réfléchi.
Certaines de ces solutions participent à une dépollution (moins d’émissions de gaz rejetés par les pots d’échappement ou par les cheminées).
Pourquoi la qualité de l’air en mer est-elle parfois médiocre à mauvaise ?
Bonne question, très complexe. La concentration en polluants dépend de l’émission ou de l’immission aboutissant à une injection de polluants dans l’air et de leur dispersion par les conditions météorologiques. La Méditerranée est bordée, au nord, de grandes agglomérations susceptibles de produire entre autres des oxydes d’azote, des particules en suspension et des précurseurs de l’ozone (via la circulation automobile, les industries…). En période de vents synoptiques faibles, généralement par temps anticyclonique, donc avec subsidence et stabilité verticale de l’air empêchant une diffusion de l’air vers le haut, les polluants sont peu dispersés. Du coup, ils peuvent s’accumuler dans et autour des grandes villes littorales et leur diffusion dépend du cycle diurne/nocturne des régimes de brises thermiques.
Certains polluants, comme l’ozone, peuvent avoir une longue durée de vie s’ils ne sont pas détruits au contact du sol (comme c’est le cas la nuit dans les vallées). Il semblerait que l’eau liquide (la mer) ne favorise pas leur destruction. Un faible vent synoptique peut entraîner en pleine mer les précurseurs de l’ozone ou l’ozone lui-même qui ne sera pas détruit comme il l’est en ville au contact du monoxyde d’azote.
Cela dit, il est vrai que quand on voit (teinte à l’horizon) et qu’on mesure de fortes teneurs d’ozone en pleine mer à 100 km de la côte, généralement bien prédites par les modèles, on se pose quand même des questions…
Selon vous, le concept de risque (aléa, susceptibilité, vulnérabilité) est-il désormais bien maîtrisé par les décideurs ?
Non, pas du tout. A mon avis, il y a une confusion à deux niveaux.
D’une part, le modèle conceptuel officiel du risque (venant de l’UNESCO à la fin des années 70) prône l’existence non pas de trois, mais de deux composantes : pour simplifier, aléa (nature) et vulnérabilité (homme). Or une meilleure lecture et compréhension du risque passe par le « détachement » d’une partie de ce qui est considéré comme l’aléa et qui est la « susceptibilité », c’est-à-dire un potentiel de développement d’un phénomène pouvant devenir dangereux en fonction de son intensité et, bien sûr, de la vulnérabilité humaine concernée. Par exemple, une crue flash est considérée comme l’aléa, mais il est plus logique d’estimer que l’aléa est l’orage qui a donné de fortes précipitations. La susceptibilité est le potentiel du lieu (où a sévi l’orage), favorisant ou non le ruissellement en fonction des pentes, de la nature des sols et des roches, de la couverture végétale… A la fin, ces conditions vont produire ou non une crue, et cette crue, si elle se produit, fera des dégâts en fonction de la vulnérabilité qui dépendra de la présence de population, des richesses, des mesures destinées à détourner et amortir la crue… On peut raisonner ainsi pour tous les risques naturels : par exemple, pour un incendie de forêt, c’est la susceptibilité qui commande la propagation des flammes, une fois l’aléa produit (l’éclosion). Cette distinction des composantes permet d’insister sur les échelles de temps : l’aléa ainsi défini est un phénomène rapide (quelques heures), alors que la susceptibilité (mise à part la saturation du sol en eau qui accroît le coefficient de ruissellement) relève d’années, voire de décennies.
D’autre part, on constate que les médias, mais aussi les décideurs, confondent souvent l’aléa avec le coût des dégâts. Ainsi, la croissance de la population, des richesses et du taux de personnes assurées laisse naturellement croire que les aléas sont partout de plus en plus intenses et importants. La séparation du risque en trois composantes permet de comprendre que ce qui augmente est soit la vulnérabilité, soit la susceptibilité, par exemple les taux de ruissellement avec l’augmentation de l’imperméabilité des sols (emprise des routes, parkings, habitations), et non l’aléa. Il a été prouvé qu’il ne pleut pas plus intensément aujourd’hui et que les tempêtes ne sont pas plus nombreuses ou violentes en France depuis plus de 50 ans, ce qui ne préjuge pas du futur.
Pour évaluer les risques, les collaborations entre les collectivités territo-riales et l’UMR Espace s’inscrivent-elles dans la durée ?
Je n’ai pas ce sentiment. Globalement, on s’aperçoit que les collaborations ne sont pas assez nombreuses sur la thématique du risque entre notre UMR et les collectivités territoriales, et ce pour plusieurs raisons. Plutôt que sur les risques et leur conception, les collaborations sont davantage axées sur des thèmes plus précis, pouvant inclure les risques, comme, par exemple la pollution de l’air ou la hausse des températures de l’air. Il s’agit d’un ciblage relativement étroit. Le risque d’incendies de forêt échappe un peu à cette règle, mais, sans entrer dans les détails, l’absence ou la suppression de financements bloque des projets finalisés de recherche. Les collectivités territoriales (entre autres) ont aussi une méconnaissance évidente des laboratoires et de leurs compétences : certains d’entre eux, spécialisés dans un domaine sont gourmands et outrepassent leurs capacités en « ratissant » large, et d’autres, faute de communication, ont du mal à sortir de l’anonymat. Dans un contexte « d’émiettement » des savoir-faire, le regroupement des équipes de chercheurs, parfois forcé et excessif, n’aura probablement pas les effets bénéfiques escomptés, car les carottes et les choux sont mélangés.
Février 2015
Interview de Dominique Robin
Dominique Robin travaille dans le domaine de la qualité de l’air depuis 1995. D’ingénieur d’études à directeur général, il a gravi tous les échelons dans les associations agréées de surveillance de qualité de l’air (AASQA). Sa riche expérience en fait un témoin privilégié de l’organisation et du développement des AASQA en France, et tout particulièrement en Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Directeur d’Atmo PACA à partir de 2006, il est devenu, six ans plus tard, le directeur général d’Air PACA qui surveille la qualité de l’air dans toute la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Il dirige aujourd'hui une équipe d'une quarantaine de personnes composée majoritairement de scientifiques et assure un rôle d’animation au sein de la structure qui compte près de 150 membres (collectivités territoriales, associations…).
Air PACA a récemment participé à la MEDCOP 21 (4 au 7 juin 2015) en présentant au Village des solutions le programme pédagogique L’Air et Moiqui s’ouvre aux partenaires du pourtour méditerranéen.
Quel est le rôle d’Air PACA ?
Air PACA a pour mission de surveiller la qualité de l’air en région Provence-Alpes-Côte d’Azur et informer les acteurs régionaux (collectivités territoriales, associations, grand public…). L’action d’accompagnement des acteurs et l’approche décloisonnée air-climat-énergie sont des axes forts de développement depuis 5 ans. L’amélioration des connaissances se focalise sur les particules en suspension, les impacts industriels et les pesticides.
Quels sont les freins à la mise en œuvre de politiques d’aménagement susceptibles de réduire l’exposition de la population à la pollution de l’air ?
Au fond, la question de l’air interroge les politiques d’aménagement et de déplacement, mais aussi les choix industriels et énergétiques. L’intégration de la composante de l’air, encore insuffisante dans certains cas, dans ces problématiques qui sont mises en œuvre sur le moyen et le long terme est à l’origine des principales difficultés et des freins. L’air constitue trop souvent un indicateur secondaire dans l’évaluation des politiques d’actions, alors qu’il devrait être intégré en amont dans les processus de décision.
Lors des pics de pollution, les personnes les plus sensibles sont encore peu protégées. Dans les écoles, faut-il supprimer, par exemple, le temps de récréation, quand les seuils d’information ou d’alerte sont dépassés ?
Les messages préfectoraux rédigés par l’Agence régionale de santé (ARS) évoluent vers un message de précaution et de préservation. Plutôt que de supprimer les récréations, une attention plus particulière est portée aux enfants ayant des difficultés respiratoires et aux activités des personnes sensibles.
Quel est l’impact du brûlage des déchets végétaux dans l'air ?
Le brûlage des déchets végétaux a un impact parfois significatif sur la qualité de l’air. La loi interdit en théorie cette pratique qui fait partie des habitudes de la population. Pour l’air, il paraît impératif, surtout dans les villes et leur périphérie, de faire cesser ces brûlages. Cette évolution se heurte à l’incompréhension de la population (un kit d’information a été élaboré par Air PACA à l’attention des maires), mais également à la difficulté des collectivités locales qui ont encore du mal à valoriser ces déchets.
Pour mieux évaluer l’impact du changement climatique sur la pollution atmosphérique, la mission d’Air PACA va-t-elle s’élargir ? Quel est le lien entre Air PACA et l’ORECA ?
Air PACA travaille déjà sur la dimension climatique. C’est aujourd’hui l’organisme qui qualifie et quantifie, sur l’ensemble de la région PACA, les émissions de gaz à effet de serre (GES) à l’échelle communale. Ces informations sont stockées et mises en ligne sur la base de données Energ’Air. De nombreux diagnostics locaux (plan climat, par exemple) se basent sur les données Energ’Air qui sont affinées par les plans d’action des collectivités territoriales.
Depuis 2014, Air PACA est l’opérateur scientifique et technique de l’Observatoire régional de l’énergie, du climat et de l’air (ORECA) en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Cette mission fait l’objet d’une convention quadripartite signée par le Préfet de région, le Président du Conseil Régional, le Directeur de l’ADEME et celui d’Air PACA. Au-delà de la production de tableaux de bord régionaux sur les trois thématiques, la question du lien avec les territoires fait clairement partie des enjeux de l’action de l’ORECA et donc d’Air PACA.
La réforme territoriale des régions épargne la région PACA et évite donc à Air PACA une nouvelle mutation, suite à la fusion d’Airfobep et Atmo PACA en janvier 2012. Quels sont les avantages et les inconvénients ?
La fusion d’Airfobep et Atmo PACA a été incontestablement une avancée qui se serait imposée de toute manière avec la montée en puissance de l’institution régionale avec notamment sa mission de chef de fil air-climat-énergie.
J’ai participé à deux fusions successives, d’abord en 2006, avec le rapprochement d’Airmaraix et Qualitair, puis en 2012, avec la fusion d’Airfobep et Atmo PACA. Ces changements permettent une remise en cause profonde des missions, de l’organisation générale et des relations avec les acteurs à tous les niveaux. Mais c’est également un facteur de perturbation important. Comme les attentes en matière de surveillance et d’accompagnement s’accroissent d’année en année, nous ne sommes pas contre un peu de stabilité structurelle, afin de répondre à notre objet premier.
Aujourd’hui, pour optimiser la surveillance de la qualité de l’air et informer la population à l’échelle locale et régionale, quels outils manque-t-il à Air PACA ?
Les outils évoluent et les besoins restent immenses que ce soit au niveau de la connaissance ou de l’évaluation de l’exposition effective de chacun. Personnellement, je crois beaucoup au développement des microcapteurs, dits "low cost", qui permettront demain d’évaluer l’air de chacun, d’adapter les gestes (à travers la prise de conscience de leur impact), mais également de rendre la ville plus « intelligente ».
En quoi consiste le programme pédagogique L’Air et Moi qui a été présenté au Village des solutions de la MEDCOP 21 ?
Le programme L’Air et Moi est un support de sensibilisation à la qualité de l’air gratuit. Il offre à tous, et tout particulièrement aux enseignants, parents et animateurs, des diaporamas, quizz, guides pédagogiques, travaux pratiques et vidéos. De nombreux participants (enseignants, enfants, parents, experts, médecins, animateurs...) l’ont fait évoluer pour expliquer de manière claire la problématique et les enjeux de la pollution de l’air. Aujourd’hui, ce projet arrive à maturité. C’est une réussite inattendue, car il avait à l’origine des ambitions modestes. On le doit principalement à l’investissement personnel de Victor Hugo Espinosa et Marie Anne Le Meur qui ne ménagent pas leur énergie et leur temps pour la réussite de ce magnifique projet, reconnu de tous.
Qu’appréciez-vous le plus dans votre métier ?
J’ai la chance de travailler dans un domaine auquel je crois et pour lequel il reste tant à faire. Le rôle d’Air PACA qui vise à améliorer et préserver la qualité de l’air (connaissances, observations, aide à la décision) est majeur. La dynamique qui lie l’air, le climat, l’énergie et la santé est également fortement porteuse de sens, et le travail en réseau, la multiplicité des acteurs rendent mon métier passionnant. Je n’oublie pas non plus mes racines de scientifique et la richesse des échanges entre les experts d’Air PACA et les chercheurs des laboratoires de recherche, tels que le Laboratoire de chimie de l'environnement (LCE) ou le Centre de recherche et d'enseignement de géosciences de l'environnement (CEREGE). L’état de l’art et les attentes sur l’air évoluent quotidiennement, d’où un intérêt sans cesse renouvelé.
Juin 2015
Interview de Dania Abdul Malak
Dania Abdul Malak est
directrice du groupe de recherche européen de l’Université de Malaga qui a pour mission principale d’appuyer l'AEE* dans l’évaluation des directives environnementales au niveau
paneuropéen. Les activités du groupe sont
orientées vers les études d’impact sur la biodiversité terrestre et aquatique (eau douce et marine), le changement climatique, l’usage des terres, le développement urbain… A la
« Rencontre climat des élus locaux et régionaux de la Méditerranée de CGLU** » qui s'est tenue le 11 décembre 2014 à Marseille, elle a animé la table ronde « Vers une stratégie méditerranéenne
pour le développement durable et le climat » durant laquelle les échanges ont été riches. Dania a répondu à nos questions en… français.
*Agence européenne
pour l'environnement
**Cités et Gouvernements Locaux Unis
Que faut-il retenir de la table ronde Vers une stratégie méditerranéenne pour le développement durable et le climat ?
Les tendances sont claires en région méditerranéenne qui est déjà touchée par le dérèglement climatique. A l’avenir, les bouleversements concerneront principalement les températures et les précipitations avec des évènements extrêmes (sécheresse, tempêtes…) qui seront hétérogènes d’un point de vue spatial. Ces modifications affecteront la sécurité humaine et alimentaire, spécialement dans les zones les plus pauvres et les secteurs les plus vulnérables, comme, par exemple, les régions rurales où travaillent les femmes.
Les politiques régionales jouent ou joueront un rôle très important en faveur de l’adaptation au changement climatique et de l’atténuation de ses effets au niveau local. Celles-ci doivent déployer les mesures interministérielles et intégrer des groupes de travail interdisciplinaires soutenus par des experts et des scientifiques, tout en impliquant la société civile.
La mise en place de plates-formes interdisciplinaires qui mettent en synergie les actions des centres de recherches, des organismes du secteur public, mais aussi privé, est la combinaison la plus efficace pour mettre en œuvre les mesures destinées à atténuer l’impact du changement global en Méditerranée.
La « stratégie méditerranéenne pour le développement durable et le climat » pourrait servir de plate-forme en intégrant la composante du changement global, les modes de production et de consommation viables afin d’assurer une gestion durable des ressources naturelles à des fins économiques et sociales, les enjeux de santé publique et les concepts de développement durable de manière plus concrète dans le processus de mondialisation de la région.
Les collectivités locales et régionales ont-elles les moyens de réduire l'impact du changement climatique en Méditerranée ?
Les gaz à effet de serre (GES) sont généralement rejetés par les régions les plus modernes et industrialisées. Les collectivités locales et régionales sont directement concernées par les impacts du changement global en relation avec les GES. Les pouvoirs régionaux pourraient mieux préparer leurs territoires et leurs citoyens en appliquant des politiques d’adaptation et d’atténuation. Toutefois, pour lutter contre le changement climatique, les communes et les régions ont besoin d’une volonté politique partagée et de moyens. Les pays de l'est et du sud de la Méditerranée sont plus vulnérables, car ils ont des moyens limités et manquent encore de coordination.
Quelles sont les démarches originales initiées en Espagne pour l'adaptation au changement climatique ?
En Espagne, les politiques sectorielles ont intégré des actions d’adaptation au changement global. Je vais citer deux cas :
Décembre 2014
Interview d'Elodie Briche
Le regard résolument tourné vers les enjeux du climat et du changement climatique, Elodie Briche se donne les moyens d’avancer et de faire progresser la connaissance scientifique et technique. Son signe particulier : ne sait pas faire les choses à moitié ! Après l’obtention d’un doctorat en dynamique des milieux et risques à Paris, elle s’est envolée pour l’Argentine afin d’intégrer l’équipe de l’Institut franco-argentin d'études sur le climat et ses impacts (IFAECI). Pendant 3 ans, elle a poursuivi ses recherches et a traduit « les connaissances climatologiques et météorologiques actuelles en informations pertinentes pour les producteurs de vin ». Parallèlement, elle a commencé à travailler sur les inondations en 2014. Tout en conservant des liens forts avec les chercheurs argentins (avec qui elle met actuellement en place un système d’alerte précoce des inondations), elle est chargée de recherche depuis 2015 au sein du Laboratoire « Population, Environnement, Développement » (LPED) où elle développe le réseau Mediterranean Cities and Climate Change, appelé MC3. Elle enseigne également à l’Université de Nice, et est membre du conseil scientifique de la Maison de la météorologie et du climat des Orres (MMCO) et du Groupe régional d’experts sur le climat en Provence-Alpes-Côte d’Azur (GREC-PACA). Les amateurs de recherche auront la chance de la rencontrer le 30 septembre 2016 à la Nuit Européenne des Chercheurs au Dock des Suds, dans la section speed searching (Marseille).
Pouvez-vous présenter en quelques mots le projet MC3 ?
MC3 — Mediterranean Cities and Climate Change — est un réseau international de recherche urbaine. Les objectifs du projet sont la réalisation d’inventaires thématiques en Méditerranée : législations et réglementations urbaines, projets urbains et systèmes d’instrumentation, de mesures et de modélisation du climat aux échelles urbaines. Je m’occupe du dernier volet. Je suis aussi engagée dans des activités de recherche appliquée, dont la mise en place d’une étude pilote en climatologie urbaine durant l’été avec l’implantation d’un réseau de mesures spécifiques.
Quels sont les principaux risques liés au changement climatique dans les villes méditerranéennes ?
Les principaux risques du changement climatique dans les villes méditerranéennes sont essentiellement tributaires des aléas extrêmes météorologiques, liés au temps et au climat, tels que les pluies intenses, les vagues de chaleur ou les sécheresses.
Le risque d’inondations dans les villes méditerranéennes et plus particulièrement en bordure littorale n’est pas négligeable du fait des interactions climat, morphologie et acteurs urbains – plus généralement l’interface Homme-Nature-Société. De plus, les vagues de chaleur estivales pourraient augmenter dans le futur avec des répercussions possibles sur les populations en termes de risques sanitaires et d’impacts sur le confort thermique. Les sécheresses estivales, caractéristiques du climat méditerranéen, couplées à d’autres facteurs anthropiques et météorologiques, peuvent favoriser les incendies de forêts à proximité des zones urbanisées.
Comment les prévenir ?
Pour prévenir ces risques, il faut améliorer la connaissance aux échelles urbaines et bien définir les échelles spatiales et temporelles des risques impliqués dans les interactions climat-ville. Je pense qu’il faut également développer des systèmes d’alerte incluant une démarche intégrée et le savoir local, tout en développant des recherches interdisciplinaires.
Le climat urbain méditerranéen présente des particularités et la mise en place de réseaux de mesures est nécessaire afin de les mettre en évidence. Il est utile de concevoir des typologies d’implantation adaptées aux villes et aux quartiers, reproductibles au sein des villes méditerranéennes. Une approche intra-urbaine des phénomènes est essentielle, mais demande de réaliser des mesures in situ parfois complexes (qui nécessitent l'installation de capteurs et la modélisation des données récoltées).
Le réseau de stations météo est-il suffisant dans les villes méditerranéennes ?
En réalisant l’inventaire des mesures, des instrumentations et des modélisations climatiques en Méditerranée, j’ai eu la confirmation que les réseaux de stations météorologiques sont le plus souvent insuffisants, surtout aux échelles locales. C’est pourquoi j’ai décidé de lancer cet été une étude pilote avec la mise en place d’un dispositif de mesures dans un quartier marseillais.
Avant de rejoindre le LPED à Marseille, vous avez travaillé en Argentine. Comment sont appréhendés les enjeux du changement climatique dans ce pays ?
J’ai eu la chance de travailler dans un laboratoire à la pointe de la recherche sur le changement climatique et la variabilité climatique en Argentine. Au-delà de l’Argentine, les enjeux du changement climatique s’articulent désormais autour des échelles régionales, mais aussi locales, et cela doit inévitablement passer par une démarche intégrée associant les connaissances des acteurs locaux comme pour les systèmes d’alerte que je viens d’évoquer.
Mes collègues argentins s’intéressent aux questions des risques, notamment le risque inondation, l’un des risques majeurs dans la Province de Buenos Aires sur lequel j’ai pu travailler dans le cadre d’Anticipando la Crecida et Alert.ar. Des études sont réalisées à différentes échelles (nationales et régionales) sur les glaciers, la variabilité climatique et les aléas extrêmes.
Comment le changement climatique est-il perçu par les Argentins ?
Tout dépend où et avec qui vous échangez. À Buenos Aires, par exemple, je pense que la préoccupation majeure des citadins est la prévision météorologique des « tormentas » (orages) et l’anticipation des inondations au niveau du Rio de la Plata. La compréhension des phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes (faisant partie de la variabilité naturelle du climat) est un sujet prédominant dans les discussions concernant le temps et le climat.
Le climat de type méditerranéen est-il représenté en Argentine ?
Non, pas tout à fait, on le retrouve davantage avec ses caractéristiques générales au Chili.
Vous êtes aussi une spécialiste des terroirs viticoles. Le changement climatique menace-t-il les vignobles de notre région ?
Ayant travaillé sur les vignobles de Champagne, mais aussi d’Amérique Latine (Chili et Argentine), je peux clairement affirmer que les répercussions du changement climatique sur les terroirs viticoles sont bel et bien visibles. La hausse des températures de l’air, par exemple, joue un rôle majeur en avançant les stades phénologiques. Dans le sud de la France, les périodes de sécheresses estivales peuvent causer des dommages sur la vigne, et la ressource en eau, mais aussi les problèmes d’ordre phytosanitaire, soulèvent des questions. Il existe des techniques vitivinicoles pour atténuer les effets du changement climatique ou pour s’y adapter. Tout dépend du pas de temps sur lequel (ou lesquels) la profession souhaite préconiser des solutions. En fonction des aléas météorologiques, le viticulteur peut aussi adapter ses pratiques agricoles selon la saison phénologique : lors d’une vague de chaleur, par exemple, il est possible de laisser davantage de feuilles pour éviter l’échaudage des baies de raisins durant la maturation.
Septembre 2016